LE
FAMEUX RIFLE MATCH DE
Traduction d’un article de Bob SMITH paru dans D.G.W. Blackpowder
Annual 1987
Creedmor – 1874 : L’histoire incroyable et
fascinante de la première victoire de l’Amérique dans un concours de tir
international. L’année 1874 servira de repère pour le tir de compétition en
Amérique, parce que, voyez-vous, les Etats Unis étaient brusquement devenus la
vedette du tir international, et cet événement impressionnant aura bientôt
prouvé que l’Amérique était capable de se battre à un niveau de compétition
mondial.
« Aux tireurs d’armes d’épaule des Etats
Unis…» Ces mots furent le premier contact de
l’Irish Rifle Team aux tireurs américains pour un challenge international
en 1873. Le Major Arthur B. LEACH, capitaine de l’équipe du Irish Rifle, avait
lancé le défi « aux tireurs d’armes d’épaule des Etats Unis » par une
annonce dans le New York Herald, pour tirer un concours en Amérique et
créer un championnat du monde ! La période des années 1800 est remplie
d’histoires d’armes à feu, de chasse, et de tir, pour ce pays relativement
jeune qu’était l’Amérique. Les armes à feu avaient été des outils de tous les
jours pour les premiers colons, le tir à la cible était déjà devenu une
tradition américaine, et l’adresse était une qualité que les Américains
admiraient et à laquelle ils aspiraient. On apprenait aux femmes à se servir
d’une arme pour l’auto-défense, on enseignait aux jeunes garçons les rudiments
du maniement des armes en toute sécurité, et on les éduquait constamment pour les
perfectionner en matière de précision dans leur façon de tirer. Pour le tireur,
pour le chasseur, ou pour l’amateur d’armes, c’était vraiment là une époque
formidable pour y vivre et en faire partie. Entre-temps, de l’autre côté de
l’Atlantique, les tireurs puristes en costume des îles britanniques se
mesuraient depuis de nombreuses années dans des compétitions à longue distance.
Les Anglais avaient un excellent stand à
Avant 1865, on avait refusé a l’Irish Rifle Team
le droit de participer à Wimbledon, parce que l’Irlande était à cette époque en
rébellion contre
En effet, l’année précédente ( 1873 ), le club
n’avait tiré que cinq matches à juste 500 yards ! En plus d’un manque
d’expérience, de matériel et de réputation en longue distance, les américains
avaient encore à choisir l’équipe de leurs représentants nationaux.
Rappelez-vous, le match n’était loin que de sept mois ! La presse s’empara
immédiatement de l’affaire et s’empressa de tenter de tourner l’événement en
ridicule. Il faut garder à l’esprit qu’il y avait beaucoup d’immigrants
irlandais en Amérique à cette époque, et leur fierté nationale dépassait de
loin leur restants de patriotisme. Dans leur idée, il n’y avait aucune
possibilité que l’équipe américaine, dont les membres restaient à choisir, pût
vaincre la grande équipe de tir irlandaise. Après tout, les membres de l’équipe
irlandaise étaient des tireurs internationaux confirmés, et ils venaient juste
de gagner contre les meilleurs tireurs à longue distance d’Angleterre et
d’Ecosse. En plus de cela, l’équipe irlandaise tirait avec des armes fabriquées
par l’un d’eux, le fameux John RIGBY. Ces superbes carabines, en calibre .45,
étaient équipées d’excellents dioptres réglables à vernier pour la hauteur et,
à l’avant, de guidons sous tunnel d’une très haute qualité. Vraiment, les
carabines Rigby étaient considérées comme les meilleures armes de match du
monde à l’époque. Tous ces ingrédients, issus de compétitions à l’étranger,
venaient s’ajouter à un niveau d’adresse pour le moins impressionnant, et
semblaient vouloir indiquer que les tireurs étaient supérieurs.
Si l’esprit de fraternité des tireurs américains
fut intimidée par le bagage impressionnant de l’équipe irlandaise, son
agressivité et son sérieux ne le montrèrent certainement pas. Mais, comme pour
rendre l’événement encore plus difficile, l’équipe de l’Irish Rifle Team posait
quelques conditions avant d’entreprendre son voyage à travers l’Atlantique.
Premièrement, l’équipe américaine devrait utiliser des armes fabriquées en
Amérique. Deuxièmement, tous ses membres devraient être des citoyens Américains
nés en Amérique. Et troisièmement, l’équipe des Etats Unis devrait avancer la
mise de
Pendant tout le printemps et l’été de
1874 , on procéda aux sélections et l’équipe américaine fut formée. Les
six membres de l’équipe des Etats Unis furent : Henry FULTON, G.W. YALE,
John BODINE, H.A. GILDERSLEEVE, L.L. HEPBURN et T.S. DAKIN. Le 26 Septembre
1874 fut la date choisie pour le prestigieux événement sportif. Le match se
tirerait sur le stand de Creedmoor, sur Long Island. Creedmoor était plutôt un
pâturage, en comparaison de Dollymount en Irlande, où l’équipe irlandaise
tirait habituellement. La législation de New York de 1871 autorisait l’achat et
la construction par promulgation et publication de l’acte. L’Etat de New York
acheta le terrain,
Les frères REMINGTON confièrent à leur très
compétent Mr. HEPBURN la fabrication d’une carabine pour la longue distance.
Lewis L. HEPBURN était le directeur général du service technique, il était
aussi un tireur de grande renommée, et il était appelé à devenir l’un des
membres de la première équipe américaine à Creedmoor. Comme base pour la
carabine de précision Remington, HEPBURN choisit le fameux système à bloc
roulant. Il conçut également une combinaison de guidon sous tunnel réglable en
latéral pour le vent, et d’un dioptre à vernier à l’arrière. Ces carabines de
tir Remington « Rolling block » furent mises en bois avec une crosse
munie d’une poignée pistolet pour améliorer la tenue à longue distance. Ces
accessoires, combinés à l’excellent mécanisme du bloc roulant de HEPBURN,
donnèrent une carabine de tir de précision d’une extrême qualité.
Plus tard,
La contribution de
Les carabines destinées à cet événement furent
livrées aux compétiteurs au début du printemps de 1874. La révélation au public
de ces carabines Creedmoor spécialement faites, attira toute une volée de
critiques car, voyez-vous, ces armes que l’on venait de faire se chargeaient
par la culasse ! La plupart des tireurs des années 1800 étaient persuadés
que seule une arme se chargeant par la bouche serait capable d’atteindre le
summum de la précision, si nécessaire au tir de compétition à longue distance.
Dans cette période de l’histoire, les armes se chargeant par la culasse étaient
une nouveauté pour les tireurs conservateurs et, franchement, on ne les
acceptait pas sur le pas de tir comme quelque chose de vraiment fiable en
matière de précision.
Faisant fi des railleries, des sarcasmes, et des
remarques méprisantes que crachait à chaque fois le public, l’équipe américaine
s’entraînait assidûment, espérant tout le temps que leurs efforts donneraient
quelque chose de crédible contre la tant redoutée Irish Rifle Team. Ainsi, le
scénario était bouclé pour l’un des plus grand évènements en matière de tir
dans l’histoire du monde ! Pourtant, il s’agissait là de quelque chose de
plus qu’une simple compétition mondiale en matière de standards de qualité,
parce que les bases de la compétition étaient connues de tous, que ce soient
des tireurs ou du public. D’un côté, nous avions une équipe inconnue de tireurs
américains, rassemblée par les simples liens du tir sportif, dont aucun des
membres n’avait la moindre expérience en matière de tir à longue distance au niveau
international. De l’autre, nous avions
Les cibles utilisées dans ce premier match
international de tir à la carabine, furent appelées « Cibles
Creedmoor ». Il s’agissait des cibles standard adoptées par
Quand le soleil commença à se lever dans le ciel
rouge de ce matin du 26 Septembre 1874, la foule de supporters passionnés et
d’amateurs se massait déjà du côté de Creedmoor. Pas moins de huit mille
intéressés remontaient le petit chemin poussiéreux pour assister à cet
événement international dont il avait tant été question partout. Depuis des
mois, les journaux avaient stimulé les enthousiasmes presque chaque jour, et à
présent des télégraphistes se tenaient prêts à envoyer les résultats à travers
le reste du pays. En ce Samedi historique, le temps était clair et assez chaud.
Il y avait peu de nuages dans le ciel. Le vent, si peu qu’il y en eût,
soufflait de face avec un léger travers vers
Les Etats Unis avaient choisi les cibles numéros
19 et 20. Les cibles numéros 16 et 17 avaient été attribuées à l’équipe
irlandaise. La 18 avait été laissée vide et, d’un commun accord, posée au sol
pour éviter les erreurs de tir croisé dans la mauvaise cible. Les postes de tir
19 et 20 étaient considérés comme les plus avantageux. L’équipe irlandaise
avait utilisé ces postes lors des tirs d’entraînement, mais elle avait perdu au
tirage au sort et, ce jour de la compétition, devrait donc renoncer à son
choix. Au moment prévu, les équipes se mirent à leurs places respectives sur le
pas de tir. Chacune des équipes fit tous les efforts pour que l’autre tirât en
premier, et obtenir ainsi les informations sur le vent par le premier coup de
l’adversaire. Assurément, il y avait là aussi un peu de compétition mentale, où
chaque tireur essayait d’influencer psychologiquement son adversaire. Les
tireurs de chaque équipe se mirent à faire mécaniquement de petits gestes
simples, comme passer des bouts de chiffon propres dans le canon de leur arme.
La foule de spectateurs qui s’était massée s’impatientait en attendant le
premier coup. Enfin, le Capitaine P. WLAKER de l’équipe irlandaise se pencha et
se mit en position classique, couché sur le ventre, au poste de tir numéro 16.
Avec l’aplomb de la dignité et l’assignation du devoir, il envoya le premier
coup de la compétition à
Les Américains, rappelez-vous, avaient justement
espéré que ce problème handicaperait l’équipe irlandaise, et ils comptaient
dessus pour profiter de la malchance des Irlandais. Entre-temps, du côté du pas
de tir américain, le Lieutenant Henry FULTON se préparait à refaire les
excellents scores qu’il avait obtenus auparavant à l’entraînement. On vit
beaucoup des membres de l’équipe irlandaise qui attendait, regarder en
direction du Lt. FULTON après qu’il eût tiré son premier coup. Ils voulaient
savoir si le tir de FULTON était aussi précis aujourd’hui qu’il l’avait été à
l’entraînement. Et il l’était ! En effet, cinq de ses six premiers coups
furent des « mouches » ! C’était parti pour un sacré match
!
Henry FULTON fut de ces tireurs qui tiraient
depuis une position sur le dos. C’est-à-dire qu’il était couché sur le dos,
croisait ses jambes, et se penchait juste un peu sur le côté droit. Puis,
plaçant la crosse de son arme au-dessus de son épaule droite, il faisait
reposer le canon de la carabine dans le « V » formé par les jambes
croisées. Sa main gauche passait derrière sa nuque, et sa paume tenait la
plaque de couche en maintenant la crosse contre sa joue. Cela semble
étrange ? Ca l’était ! Cependant, la position où le tireur était
couché sur le ventre variait beaucoup. Certains compétiteurs se couchaient sur
le dos ou sur le côté, et tenaient leur canon avec leurs pieds ou leurs jambes,
quand d’autres utilisaient une position où le visage penchait vers le bas. La
majorité tirait couché sur le ventre dans une version traditionnelle…essayant
toujours de chercher une position plus stable et un contrôle plus ferme de
l’arme.
A de telles distances, la moindre déviation
pouvait signifier un coup totalement hors-cible. En plus de son étrange
position à tirer couché, le Lt. FULTON était le seul membre de l’équipe de
tireurs Américains à charger son arme, qui se chargeait normalement par la
culasse, par la bouche ! Avec sa carabine Remington, le Lt. FUTON choisit
de charger son arme avec une balle calepinée qu’il descendait par
Malgré sa position de contorsionniste et sa
manière antithétique de charger son arme, par la bouche au lieu de par la
culasse, le Lt. FULTON fur le meilleur tireur à
L’un après l’autre, les grands tireurs d’Irlande
et d’Amérique s’avançaient sur le pas de tir pour représenter leur pays, tout
en cherchant à se faire remarquer sur le stand de tir de Creedmoor. L’équipe
irlandaise finit de tirer
EQUIPE
IRLANDAISE : EQUIPE
AMERICAINE :
John RIGBY : 52 Lt.
Henry FULTON : 58
EdmundJOHNSON :
50 Gen.
T.S. DAKIN : 53
Dr. J.B. HAMILTON
: 58 G.W.
YALE : 55
J.K. MILNER : 57 Lewis
L. HEPBURN : 53
Capitaine P.
WALKER : 46 Col.
John BODINE : 54
James WILSON : 54
TOTAL : 317 TOTAL : 326
De manière surprenante, l’équipe américaine
sortait de la compétition de tir à
Comme les spectateurs se ravivaient à relire le
classement sur le tableau d’affichage et pesaient les chances de leur équipe
favorite, les membres de l’équipe se retirèrent pour un déjeuner préparé pour
eux dans une tente juste à côté. L’équipe irlandaise offrit à l’Amateur Rifle
Club de New York City une splendide coupe en argent comme présent d’amitié.
Suivirent les traditionnels discours de remerciements et les plaisanteries
toujours liées au tir international, après quoi les carabiniers revinrent sur
le pas de tir de Creedmoor pour continuer
Pourtant, l’Irish rifle Team eut une mésaventure
dans les séries à
Pour l’équipe américaine, Henry FULTON prouva
une nouvelle fois que sa constance dans les hauts scores à l’entraînement
n’était pas un fait du hasard, puisqu’il sortit comme le meilleur tireur en
obtenant 57 points aux
Le total des scores après la fin des tirs à
EQUIPE
IRLANDAISE : EQUIPE
AMERICAINE :
800 900 800
900
yards yards yards yards
John RIGBY : 52 56 Lt.
Henry FULTON : 58 57
EdmundJOHNSON :
50 49 Gen.
T.S. DAKIN : 53 45
Dr. J.B. HAMILTON
: 58 52 G.W.
YALE : 55 56
J.K. MILNER : 57 49 Lewis
L. HEPBURN : 53 50
Capitaine P.
WALKER : 46 55 Col.
John BODINE : 54 51
James WILSON : 54 51 Col.
H.A. GILDERSLEEVE : 53 51
TOTAL : 317 312 TOTAL
: 326 310
COMBINE : 629 COMBINE : 636
On voit tout de suite que, jusque là, les scores
étaient tels que n’importe laquelle des deux équipes pouvait tirer avantage de
toute erreur susceptible d’être commis par l’autre à
Alors que les compétiteurs se rendaient au pas
de tir à
Mais l’équipe américaine était encore en train
de tirer. Le Lieutenant FULTON venait juste de tirer son dernier coup, et un
rapide coup d’œil indiquait qu’il avait fait un score de 56. Ceci s’avéra le
meilleur score de tous les tireurs de cette équipe à
Jusque là, le score de l’équipe américaine
totalisait 930. Il restait un coup à tirer pour le Colonel BODINE. Si par
erreur le dernier coup était manqué, les vainqueurs de Creedmoor serait, bien
entendu, les Irlandais. L’issue du match était dans le dernier coup de BODINE.
Il est certain que l’action intense qui se déroulait là, faisait peser une
responsabilité énorme sur les épaules du colonel John BODINE. Le Colonel,
quoique bien expérimenté en matière de tir, était un homme approchant
Le silence enveloppait le stand de Creedmoor alors
que le tireur vieillissant inscrivait la « mouche » dans la lumière
du dioptre sur son Remington. Sentant le calme de la foule, ou peut-être
ressentant la tension qui était orientée sur lui à cause de l’importance de ce
dernier coup, le Colonel visa, reprit son souffle, puis visa de nouveau. Après
ce qui sembla une éternité, le dernier coup de match était tiré et, presque
immédiatement, la foule de spectateurs cria d’un seul cœur « Ca y
est ! », en même temps que le petit disque blanc sortait de la
fosse et indiquait une « mouche ». Simultanément, un grondement
d’acclamations pour les vainqueurs s’éleva d’une telle férocité, que
l’allégresse individuelle de chaque tireur s’en retrouva noyée et dépassée par
l’enthousiasme et la frénésie de
EQUIPE
IRLANDAISE : EQUIPE
AMERICAINE :
800
900 1000 800 900 1000
yards yards yards yards yards
yards
John RIGBY : 52 56 55 Lt.
Henry FULTON : 58 57 56
EdmundJOHNSON :
50 49 51 Gen.
T.S. DAKIN : 53 45 41
Dr. J.B. HAMILTON
: 58 52 50 G.W.
YALE : 55 56 51
J.K. MILNER :
57 49 48 Lewis
L. HEPBURN : 53 50 46
Capitaine P.
WALKER : 46 55 43 Col. John BODINE :
54 51 53
James WILSON :
54 51 55
TOTAL : 317 312 302 TOTAL : 326 310 298
COMBINE : 931 COMBINE : 934
Le New York Herald du Lundi 28 Septembre
1874 raconte l’histoire de ce premier match international de tir à la carabine
comme suit : « Le grand match de tir. L’Irlande et l’Amérique se
sont battus chacun pour être le champion. La victoire de l’Amérique. Des scores
magnifiques aux distances du demi-mille. Une moisson d’honneurs, même dans
Dans l’état des choses, ils ont la consolation
de savoir que les points obtenus par leur équipe dépassent d’un seul ceux de
leurs adversaires. Mais l’élimination du mauvais coup de Mr. MILNER les prive
de quatre points, et donne ainsi l’avantage de trois points à l’Amérique. Avec
un tel score, la défaite perd toue sa force et les tireurs malheureux peuvent
se consoler d’avoir mérité la victoire, même s’ils n’y sont pas arrivés. Le
score réalisé Samedi n’a jamais été égalé dans n’importe quelle compétition à
longue distance, et même les Irlandais ont surpassé tous les efforts qu’ils
avaient faits précédemment. Ceci rend la victoire des Américains encore plus
honorable, alors que c’est un exploit dont l’équipe perdante peut être
fière. »
Le premier match de Creedmoor a prouvé que les
Américains pouvaient se mesurer en tir à longue distance avec les meilleurs du
monde – et il prouva également quelque chose d’autre. Ce fut la preuve que les
armes à chargement par la culasse pouvaient tirer tout aussi juste et aussi
précisément que celles qui se chargeaient par