LA
BATAILLE DES LAVA BEDS
Traduction d’un article de J.G. BILBY paru dans D.G.W. Blackpowder
Annual 1993
Dans le sillage de la Ruée vers l’Or de 1849,
les petites tribus indigènes d’Amérindiens de Californie furent accablées par
une vague de pillages, de viols, de massacres et de maladies qui réduisirent la
population Indienne de l’Etat de soixante dix pour cent. A moins d’un millier,
les Modoc, qui chassaient, cueillaient et pêchaient sur une zone de plus de
5000 miles carrés près de la frontière entre la Californie et l’Oregon,
refusèrent de sombrer tranquillement dans l’histoire sans réagir. Les Modoc
préféraient éviter les Blancs, mais l’invasion engendra une résistance et
dégénéra en une série de conflits
pendant toutes les années 1850. Ravagés par la guerre et par la variole,
opprimés par les colons et le gouvernement, les Modoc furent forcés à émigrer
vers la Réserve Klamath dans l’Oregon, après un traité signé en 1864. Bien
qu’harcelés par les Klamath, leur principal chef, Old Schonchin, Vieux
Chauchichon, avec d’autres de son peuple, s’adaptèrent aux difficultés et à
la précarité de la vie en réserve. Beaucoup ne purent pas le faire. Kientpoos,
connu chez les Blancs comme Captain Jack, retourna vers les traditionnels
territoires de chasse sur la Lost River, Oregon. En 1870, le Responsable aux
Affaires Indiennes de l’Oregon, Alfred B. MEACHAM, réussit à convaincre Jack de
revenir dans la réserve auprès de son peuple. Pourtant, de nouveaux heurts avec
les Klamath, combinés à un programme officiel de destruction des pratiques
culturelles et religieuses traditionnelles Modoc, provoqua une nouvelle fuite
de la bande vers la Lost River en quelques mois. Les mineurs de la ville
de Yreka, également appelée Eureka et située sur la côte, California, où
les Modoc travaillaient, achetaient, demandaient avis et aidaient même à
combattre des feux, n’étaient pas gênés par le retour des Indiens. Les fermiers
locaux non plus, payant un « loyer » aux Modoc sous forme de
marchandises et de nourriture, ou employant des Indiens comme cow-boys,
c’est-à-dire comme gardiens de vaches. Mais certains colons, en particulier
de l’Oregon, estimaient que les Modoc constituaient une menace et envoyèrent
une pétition au gouvernement pour qu’on les renvoyât. Tentant un compromis,
Captain Jack proposa que l’on lui accordât une réserve de six miles carrés sur
la Lost River pour lui et son peuple. Mais cette solution tout à fait
raisonnable, avalisée par MEACHAM et par le Général Edward R.S. CANBY, chef du
Département à Columbia, ne fut jamais vraiment prise au sérieux, sans doute
parce qu’elle aurait constitué un dangereux précédent en permettant aux Indiens
de réclamer leurs terres traditionnelles.
Pendant que se traitaient toutes les tentatives
de convaincre le peuple de Jack de revenir vers la réserve, Curly Headed
Doctor, Docteur Tête Bouclée, un shaman, présenta la Danse des Esprits à
la bande de la Lost River. Mieux connue pour son association avec la tragédie
de Wounded Knee, le Genou Blessé, en 1890, la religion de la Danse des
Esprits, qui promettait à ses fidèles la disparition des Blancs et la
restauration de leur ancien mode de vie, tient ses origines chez les Païutes en
1870. Au début de 1872, MEACHAM fuit remplacé par T.B. ODENEAL. Le nouveau
responsable promettait publiquement d’être ami avec les Indiens, mais demandait
sous la table « l’élimination » de la bande de Jack, disant
que c’était « la manière la plus clémente et la plus Chrétienne »,
et le moyen « le plus sûr », de régler le problème. Il n’y avait
pas de négociation possible. Le gouvernement n’approuverait pas une réserve sur
la Lost River, et Jack, pressé par les Danseurs des Esprits, risquait sa place
de chef s’il faiblissait. S’il acceptait d’aller autre part, il perdrait à coup
sûr. ODENEAL ne perçut pas la force de la bande de la Lost River, faisant
l’erreur de conclure que Captain Jack, Hooker Jim, Jim la Pute, et
d’autres chefs, ne représentaient pas leur peuple qui, croyaient-ils, voulait
réintégrer la réserve. Frustré, le Responsable des Affaires Indiennes demanda
au Major John GREEN du 1st. Cavalry, commandant du Fort Klamath, de former une « force
suffisante » pour arrêter le chef Modoc. Sans en référer à CANBY,
GREEN ordonna au Capitaine James JACKSON de mettre le Compagnie B du 1st. Cavalry
en selle et de se rendre sur la Lost River. Seize heures plus tard, les trente
huit hommes de JACKSON s’approchaient du village endormi de Captain Jack,
pendant qu’une bande non officielle de quatorze civils armés traversaient la
rivière pour pénétrer dans le camp de Hooker Jim. Comme Jack restait dans sa
cabane, JACKSON engagea un pourparler futile avec plusieurs Modoc, puis leur
commanda de lui remettre leurs armes.
Comme les Indiens hésitaient, le Lieutenant F.A.
BOUTELLE dit à JACKSON que la bagarre était sur le point d’éclater et que « plus
vite vous la commencerez vous-même, meilleur ce sera pour nous ». Le
Lieutenant sortit son revolver et se précipita sur Scarface Charley, Charlie
la Balafre, lui criant à la figure « Fils de pute ! »
et lui tirant dessus. Charley riposta, éraflant le bras gauche de l’officier. Et
voilà, c’est parti ! Encore un de ces cons de sous-fifres qui fout la
merde parce qu’il veut des galons en montrant à ses supérieurs comment il se
bagarre. En plus, il loupe l’Indien qui est juste en face de lui, et l’autre
lui fait mal. Les soldats ouvrirent le feu avec leurs carabines Sharps en
.50-70, et les Modoc se mirent à couvert derrière leurs cabanes en ripostant
eux aussi. En cinq minutes, on fit cesser le feu des deux côtés, avec un soldat
et un Modoc morts, et sept soldats blessés. Les Tuniques Bleues ont ouvert
le feu en premier, donc ils avaient l’avantage, mais on dirait qu’il leur
manquait encore un peu d’entraînement parce qu’ils n’ont même pas été capables
de buter plus d’Indiens qu’un seul et qu’ils n’en ont même pas blessé d’autres,
tout en ayant déjà sept blessés chez eux, spécialement quand on sait que les
Indiens n’avaient pas la réputation d’être des tireurs exceptionnels. En
entendant le bruit des coups de feu, les civils tirèrent dans le camp de Hooker
Jim avec leurs fusils Henry et leurs fusils de chasse juxtaposés, blessant une
femme et tuant son enfant, avant de battre en retraite en laissant deux morts
derrière eux. Eux aussi, c’étaient des nuls. Avec des armes à répétition et
des cracheurs de plomb, ils n’arrivent même pas à descendre des guerriers,
juste une femme et un enfant qui étaient sans armes, et en plus, ils laissent
deux des leurs par-terre. Pendant que les soldats brûlaient son village,
Jack emmena ses guerriers vers le Sud en Californie, sur la berge Ouest du Lac
Tule. Ses femmes et ses enfants s’enfuirent dans des canoës. Les Modoc de Jack
prévinrent des colons Blancs et leur dirent qu’il était préférable pour eux de
quitter le pays, mais la bande de Hooker Jim tua une douzaine d’hommes en
s’enfuyant le long de la rive Est du lac. Comme la rumeur de la bataille se
répandait, des fermiers amicaux tentèrent d’escorter une autre bande de Modoc
sortis de leur réserve, avec à sa tête Shacknasty Jim, Jim Baraque Méchante,
depuis Hot Creek jusqu’à la réserve. A Linkville, Oregon, une bande de
querelleurs ivres menacèrent de lyncher les Modoc de Hot Creek et les effraya
tellement qu’ils s’enfuirent pour rejoindre les fugitifs.
De gauche à droite,
Scarface Charley, l’homme à la balafre sur la joue droite qui tourne la tête
pour la cacher, Bogus Charley, ou «Charlie le Faux-Jeton», Steamboat Frank, ou
«Frank du Bateau à Vapeur», Long Jim, ou «Jim le Long», et Shacknasty Jim. Long
Jim porte une veste de l’Armée. Bien avant la guerre, beaucoup de Modoc avaient
travaillé comme cow-boys pour les fermiers Blancs et avaient depuis longtemps
abandonné leurs vêtements traditionnels. Mais une toque en fourrure Russe ou un
petit chapeau de bourgeois, ça fait bizarre, sur la tête de Japonais. Ils ont
les mains dans les poches. Manque plus que la cigarette.
Les fugitifs se rassemblèrent dans les Lava
Beds, les Lits de Lave, cinquante miles carrés de prairies couvertes de
buissons épineux et marquées par un paysage lunaire de restes volcaniques
criblés de fissures, de crêtes et de grottes au Sud du Lac Tule. Le
terrain accidenté des Beds offrait une série de positions défensives
naturelles, et les Indiens y établirent une « forteresse » au milieu
d’un fouillis de lave durcie, près des berges du lac. Lorsqu’il apprit la
catastrophe dont ses subordonnés s’étaient rendus responsables, CANBY ordonna
que l’on concentrât toutes les forces disponibles sur les Lava Beds. Son
commandant sur le terrain était le Lieutenant Colonel Frank WHEATON du 21st.
Infantry qui, comme CANBY, était un vétéran aguerri de la Guerre Civile.
Les forces de WHEATON comprenaient trois
compagnies de la 21st. Infantry, trois de la 1st. Cavalry, et une section
d’obusiers de montagne de 12 livres. Les 225 soldats de WHEATON étaient
renforcés de 133 Volontaires de l’Oregon, dont beaucoup étaient des Indiens de
la réserve Klamath, et 29 Californiens. En face de cette armée se trouvaient
environ 150 Modoc, dont 50 guerriers.
Au soir du 16 Janvier 1872, comme les hommes de
WHEATON prenaient place sur une falaise surplombant les Lava Beds, les
Modoc terminaient la préparation finale de leurs défenses. Curly Headed Doctor
érigea un totem pour la Dance des Esprits, décoré avec des talismans sacrés, au
centre de la « forteresse », et entoura toute la zone d’un cercle
protecteur fait d’herbe tressée peinte en rouge. Puis le sorcier entraîna les
Modoc dans une danse lancinante qui dura toute la nuit, et dont les échos
rebondirent sur les escarpements de lave vers des soldats grelottants
agglutinés autour de feux de broussailles. WHEATON lança son assaut simultané
de l’Est et de l’Ouest à 4H00 du matin. L’infanterie était armée du fusil
réglementaire Springfield Model 1868 en .50-70.
Le Model 1868 fut la
troisième des neuf versions du « Trapdoor », et on en fabriqua 51 389
exemplaires de 1868 à 1872. Beaucoup de composants proviennent des fusils
Springfield Model 1861 et Model 1863. La caractéristique principale est la
culasse pivotant vers l’avant, dont l’idée avait été piquée à Hiram BERDAN par Erskine S. ALLIN. L’affaire fit l’objet
d’un long procès finissant après la mort de BERDAN, qui criait tout le temps
« ALLIN, pour qu’elle revienne… ».
Quelques-uns des Volontaires avaient été dotés
de Springfield, et les autres portaient des fusils de sport. Les Compagnies B
et G de la 1st. Cavalry étaient armées de carabines Sharps en .50-70, alors que
la Compagnie F avait des carabines à répétition Spencer Model 1865 à sept coups
en calibre .56-50. Les Modoc les affrontaient avec des fusils se chargeant par
la bouche et des revolvers à percussion. Bref, ils étaient à 50 contre 387,
et pas vraiment à armes égales. On sait donc déjà comment ça va finir :
mal. Mais pour qui ?
Les obusiers de montagne donnèrent le signal de
l’attaque, mais se turent bientôt parce qu’un brouillard blanc recouvrait le
champ de bataille et gênait l’observation. Très vite, les hommes de GREEN se
mirent à tirer sur des fantômes, alors que les Modoc les plus près se
trouvaient à un mile de là et que leur forteresse était encore à plus de trois
miles. Lorsque les soldats arrivèrent enfin à portée de tir, les Indiens, la
tête hérissée d’un camouflage de buissons, ouvrirent un feu nourri sur eux puis
disparurent. Les soldats se retrouvèrent seuls, piétinant lentement à travers
une brume vide, et déchirant leurs chaussures et leurs habits sur les arêtes
vives des rochers de lave. En fin d’après-midi, on mit fin à l’attaque. Les
guerriers Modoc, aidés par leurs femmes qui rechargeaient les fusils de rechange
pendant qu’ils tiraient, surent tirer avantage de leur ligne intérieure en
envoyant de petites escouades d’un point à un autre, défiant effrontément leurs
ennemis en leur envoyant injures et balles, les clouant au sol là où ils
étaient. Avec tous les cris et les coups de feu qu’ils entendaient, beaucoup de
soldats croyaient que les Indiens étaient plus nombreux qu’eux. La confiance de
l’Army fondit encore plus lorsque plusieurs cartouches de Spencer ne partirent
pas, et que certaines carabines Sharps s’enrayèrent à cause d’un extracteur
défectueux. Au début de l’action, les Volontaires de l’Oregon avaient déjà
déclaré une paix séparée, et beaucoup de réguliers se précipitèrent vers
l’arrière pour se réfugier dans le brouillard. Au crépuscule, il restait moins
de 100 soldats en action. Les Klamath ne montraient aucune envie de se battre,
et donnèrent des amorces, de la poudre et des cartouches aux Modoc qu’ils
rencontraient cachés dans le brouillard. Beaucoup de Modoc purent se réarmer
avec des fusils, des carabines et des munitions que les autres avaient
abandonnés. Voilà. Tout faux, les mecs, à peine c’est commencé.
Les Volontaires en retraite avaient laissé
derrière eux des fusils Remington et Ballard, et Shacknasty Jim récupéra le
trophée du jour, un fusil à répétition Henry à seize coups. Les Modoc
démontèrent des cartouches capturées afin de récupérer de la poudre et du plomb
pour leurs armes à chargement par la bouche. Du côté des défenseurs, les
tireurs isolés avaient tué quatorze attaquants et en avaient blessé vingt
trois, sans aucune perte chez eux. Le General CANBY renvoya un WHEATON écrasé
qui, dans le sillage de sa défaite, avait appelé 1000 hommes en renfort avec un
support de bateaux et de mortiers pour débusquer les Modoc. WHEATON fut remplacé
par le Colonel Alvan C. GILLEM du 1st. U.S. Cavalry.
Jack et sa suite étaient partisans de la paix,
mais il y avait d’autres factions dans la bande qui s’opposaient à tout
compromis, dont les hommes de Hooker Jim qui avaient peur de représailles pour
les meurtres des colons, et les partisans de Curly Headed Doctor qui croyaient
que la magie du sorcier leur assurerait la victoire. Les parlementaires
n’avaient pas pouvoir pour garantir à Jack ce qu’il voulait le plus :
une réserve sur la Lost River ou même sur les Lava Beds. L’amnistie et la
déportation était ce qu’ils pouvaient lui offrir de mieux. Pour compliquer les
choses, l’Oregon poursuivit plusieurs Modoc pour meurtre. La sélection avait
été faite au hasard et elle incluait Scarface Charley, lequel n’avait tué
personne, sauf au combat. L’un des pontes de l’Oregon garantit aux Modoc qu’ils
seraient tous pendus. Un autre leur dit qu’ils seraient brûlés vifs s’ils se
rendaient. Pendant que la marée des palabres montait et descendait, les hommes
de GILLEM se rapprochèrent des Lava Beds, et déconcertèrent les Indiens en
capturant trente trois chevaux. Encore un coup dans le dos de ces salauds de
visages-pâles à la langue fourchue. Pendant qu’on discute pour faire la paix,
l’autre vient par derrière pour te niquer tes billes. Déjà maigre avant,
l’intendance de Jack s’érodait. Déguisé de force avec des vêtements de femme
avec des Modoc « durs » qui se moquaient de lui pour cette raison,
Jack accepta finalement de les mener pour tuer les parlementaires au cours
d’une rencontre prévue pour le 11 Avril 1873. Curly Headed Doctor, Hooker Jim
et leurs partisans, étaient convaincus que l’armée battrait en retraite si le
General CANBY était tué. Bien que prévenu du complot par Toby Riddle, Toby
Devinette, une femme Modoc qui, avec son mari Frank, servait d’interprète,
CANBY méprisa le danger. Les parlementaires MEACHAM et L.S. DYAR firent preuve
de moins de témérité que le General et glissèrent des derringers dans leurs
poches. Le dernier membre de l’équipe de négociateurs, le Reverend Eleasar
THOMAS, avait placé toute sa confiance en Dieu. Lorsque les parlementaires et
les époux Riddle arrivèrent à la tente de conférence qui avait été plantée
entre les lignes, ils furent accueillis par Captain Jack et sept autres Modoc
portant ouvertement des revolvers. D’autres Indiens, armés de fusils, étaient
cachés dans les rochers. Coup tordu pour coup tordu. T’vas voir t’t’à
l’heure. Comme CANBY distribuait des cigares, Jack, dans un dernier petit
effort pour éviter un désastre imminent, réitéra une nouvelle fois sa requête
pour une réserve, offrant même de croire CANBY « sur parole ».
Le mot n’était pas, il ne pouvait pas l’être, à-propos. Sentant que les dés
étaient jetés, Jack cria « C’est parti ! » en Modoc,
dégaina son revolver et tira sur CANBY. L’arme fit long-feu, Jack ramena de
nouveau le chien en arrière et appuya une nouvelle fois sur la détente,
touchant le General en dessous de l’œil gauche. Mortellement blessé, CANBY
tomba par terre, se releva et s’enfuit en titubant. Lorsque le General
s’écroula de nouveau un peu plus loin, Ellen’s Man George, George le Mari
d’Hélène, lui tira dessus avec un fusil, et Jack le poignarda. Ben
merde… Pendant ce temps-là, Boston Charley, Charlie de Boston, tua
le Reverend THOMAS, se moquant du prêtre parce que sa magie ne marchait pas.
MEACHAM, brandissant son derringer, se retourna sur ses talons et se mit à
courir, jusqu’à ce qu’il fût fauché par une balle et qu’il tombât au sol. DYAR,
son derringer dans la main lui aussi, se précipita vers les lignes de l’armée
avec Frank Riddle. Comme les deux hommes s’enfuyaient, les Modoc, qui n’avaient
jamais eu la moindre intention de tuer les Riddle, d’ailleurs Scarfaced Charley
qui refusait de participer à ces meurtres, avait menacé de tirer sur quiconque
leur ferait du mal, se mirent à détrousser CANBY, MEACHAM et THOMAS. Jack prit
la vareuse de l’uniforme du General et Ellen’s Man sa montre. Boston Charley
fit quelques tentatives pour couper la tête de CANBY et se posait des questions
sur la meilleure façon de scalper un chauve, lorsque Toby Riddle cria « Voilà
les soldats ! » Les Modoc s’enfuirent. Des sauvages, que j’te dis,
ces Indiens. Des sauvages ! A peine l’autre il est par terre qu’il a déjà
plus de veste ni de montre. C’est comme si tu t’arrêtes sur l’autoroute pour
changer un pneu, à peine t’as commencé à l’avant qu’il y a quelqu’un qui
démonte la roue arrière pour partir avec. Et le gros chauve, ce con, y a même
pas moyen de le scalper comme il faut. C’est quand-même un monde, çà, madame !
Lorsque l’histoire fut relatée dans les
journaux, le public cria revanche. Le Président GRANT abandonna sa politique de
paix, et le General William T. SHERMAN, qui était loin d’être un ami des
Indigènes Américains dans les meilleures circonstances, préconisa une « extermination
pure et simple » des Modoc et ordonna l’envoi de renforts vers les
Lava Beds. Parmi les effectifs ajoutés aux forces du Colonel GILLEM, on compta
72 éclaireurs Indiens de Warm Springs, qui remplacèrent les Klamath inutiles.
La force de l’armée grimpa à 1000 hommes y compris quatre compagnies de
cavalerie, cinq d’infanterie et quatre batteries d’artillerie. Le 14 Avril,
GILLEM donna l’ordre aux Compagnies F et K de la 1st. Cavalry, aux E et G de la
12th. Infantry, aux Batteries K, M et E de la 4th. Artillery, qui servait
d’infanterie, et aux Indiens de Warm Springs, d’attaquer depuis l’ouest et le
sud dans un mouvement de balayage. Trois compagnies de la 21st. Infantry et les
Compagnies G et B de la 1st. Cavalry pénétrèrent de l’est, dans l’espoir de
faire la jonction avec les forces de l’ouest. L’assaut commença le jour suivant
et les Modoc prirent les soldats sous leur feu de loin. Quand le soleil se
coucha et bien que les officiers eussent réussi à remettre leurs hommes en mouvement,
les soldats, qui avaient perdu trois morts et six blessés, n’avaient avancé que
d’un demi mile. Aucune perte n’était à déplorer chez les Modoc. L’armée
s’enterra et résista pendant toute une nuit remplie de cris où on s’échangeait
des obscénités et des coups de feu, et du grondement régulier des obusiers
ainsi que des mortiers de campagne. Ces dernières armes, grâce à leur tir
vertical, lâchèrent quelques obus directement dans la forteresse. Au matin, les
soldats enjambèrent la corde magique, coupèrent les Indiens du lac et de leur
réserve d’eau, et s’approchèrent à cinquante yards du quartier-général de Jack.
La magie de Curly Headed Doctor fut encore plus sérieusement inefficace lorsque
les Indiens souffrirent de leurs premières pertes depuis la Lost River.
Plusieurs hommes et femmes avaient été blessés, et l’un des hommes s’était
transformé en fumée en essayant de retirer avec ses dents la fusée d’un obus
qui n’avait pas explosé. La situation tactique étant désespérée, Captain Jack
exfiltra ses guerriers et leurs parents vers le sud, à travers les lignes de
l’armée et sous le couvert de la nuit. Lorsque les soldats pénétrèrent dans la
forteresse abandonnée le matin suivant, ils ne trouvèrent personne d’autre
qu’un vieil homme blessé, lequel fut immédiatement tué et scalpé, et dont le
trophée macabre fut divisé en huit morceaux. Inquiet de l’évasion de sa
proie, le Colonel GILLEM expédia des patrouilles dans tout le pays aux
alentours. Mais les Modoc étaient restés dans les Lava Beds, y trouvant du
gibier et des grottes dans lesquelles ils puisaient de l’eau. En quelques
jours, leur nouveau site fut découvert par les éclaireurs de Warm Springs.
Le 26 Avril, GILLEM envoya le Capitaine
d’artillerie Evan THOMAS avec un détachement de 64 hommes, dont les Batteries A
et K de la 4th. Artillery, et la Compagnie K de la 12th. Infantry, pour prendre
position en hauteur d’où ils devraient bombarder les Indiens. Bien que les
officiers des patrouilles fussent tous des vétérans de la Guerre Civile,
ils méprisèrent les procédures de base en matière de sécurité et s’arrêtèrent
pour déjeuner au centre d’une embuscade montée par Scarface Charley. Lorsque
Charley et ses 24 guerriers ouvrirent le feu, les soldats paniquèrent. La
Compagnie E du Captain Thomas WRIGHT tenta de donner l’assaut contre les
attaquants, mais le Capitaine fut tué et ses hommes mis en déroute. Le Captain
THOMAS rassembla vingt hommes dans un réduit, mais les Modoc gardèrent
l’avantage et les tuèrent tous. Vers 03H00 de l’après-midi, Charley cria « Tout
ce que ce qu’il vous reste à faire, à ceux d’entre vous qui ne sont pas encore
morts, c’est de rentrer chez vous. Nous ne voulons pas vous tuer tous en un
seul jour. » Puis il disparut avec ses Modoc. Bien qu’au courant de
l’attaque subie par THOMAS, GILLEM était convaincu que le corps expéditionnaire
n’était pas en danger et n’envoya pas de relève avant la fin du jour. Après
avoir tâtonné toute la nuit, les renforts atteignirent le champ de bataille le
lendemain matin. L’armée avait perdu 23 morts, y compris THOMAs et tous ses
officiers, et 19 blessés. La plupart des hommes avaient été touchés plus d’une
fois, et l’un des soldats avait reçu vingt balles. Les Modoc avaient peut-être
perdu un seul homme.
Le désastre coûta sa place à GILLEM. Le Colonel
Jefferson C. DAVIS, un dur à cuire vétéran de la Guerre Civile portant un nom
bizarre, succéda à CANBY et prit lui-même le commandement sur le terrain. Eh
oui, bizarre et incongru, ce nom, mais ce n’est pas le Jefferson DAVIS qui fut
Président des Etats Confédérés pendant la Guerre de Sécession, celui-là
s’appelait Jefferson F. DAVIS et il ne reprit pas de service dans l’armée. A
l’époque où se passe cette histoire, l’ancien Président avait d’autres chats à
fouetter contre le Gouvernement des Etats Unis, et dirigeait une compagnie
d’assurance.
Peu de temps après l’arrivée de DAVIS, les Modoc
capturèrent un nouveau convoi d’approvisionnement de l’Armée, blessant trois
soldats de plus et continuant à se faire mal voir. En réponse, DAVIS envoya le
Captain H.C. HASBROUCK avec la Batterie B du 4th. Artillery, montée et servant
de cavalerie, les Compagnies B et G de la 1st. Cavalry et les éclaireurs de
Warm Springs après les Modoc. HASBROUCK divisa ses forces, campant avec les
compagnies de cavalerie sur les bords du Lac Sorass, où les Modoc lancèrent une
attaque surprise à l’aube du 10 Mai. Bien que les Indiens fussent victorieux au
début, HASBROUCK rassembla ses hommes et, pendant que le Sergeant Thomas KELLY
hurlait « Nom de Dieu ! il faut charger ! », contre
attaqua et parvint à les repousser. L’armée avait perdu trois morts et six
blessés. Les Modoc, comme toujours, avaient donné plus qu’ils n’en avaient, ne
perdant que Ellen’s Man. Par contre, ils perdirent leur intendance et la
plupart de leurs munitions au profit des éclaireurs de Warm Springs, qui les
attaquèrent au moment où ils se retiraient. Démoralisé par cette défaite, Jack
fut abandonné par Hooker Jim et les militants qui l’avaient poussé à tuer
CANBY. A court de vivres et de munitions, leurs vêtements en haillons et
chassés par des soldats de plus en plus sûrs d’eux-mêmes, les Modoc
commencèrent à craquer. La bande de Hooker Jim se rendit le 22 Mai. Jim, Bogus
Charley, Steamboat Frank et Shacknasty Jim se portèrent très vite volontaires
pour traquer Jack pour le compte de l’armée. Ils le trouvèrent bientôt.
L’ironie de la reddition que lui demandaient ses anciens alliés, qui l’avaient
eux-mêmes poussé donc ce combat inégal, ne fut pas perdue sur un Captain Jack
en colère, lequel rejeta la proposition. Le temps travaillait pour le compte de
l’armée, et les Modoc se rendirent par petits groupes, pendant toute la
dernière semaine de Mai. La reddition ne signifiait pas forcément la sécurité,
puisque quatre guerriers désarmés furent tués par les Vigilantes de l’Oregon.
Jack, reconnaissant que « ses jambes le lâchaient », reconnut
l’inévitable et capitula le 1er. Juin.
Le désir qu’avait DAVIS d’exécuter sommairement
les chefs Modoc fut frustré par des ordres de Washington de juger sommairement
Captain Jack, John Schonchin, qui était quelqu’un d’autre que le chef Old
Schonchin, Slolux et Black Jim, pour l’assassinat de CANBY et de THOMAS. On
accorda l’amnistie à Hooker Jim et à ses fauves pour les services qu’ils
avaient rendu. Le procès, ou ce qu’il fut, eut lieu devant un tribunal
militaire pendant que l’on montait un échafaud au dehors. Les Modoc accusés
n’eurent pas d’avocat pour les défendre et ils furent très vite reconnus
coupables et condamnés à être pendus. L’opinion publique nationale tourna très
vite en faveur des braves et habiles soldats qui avaient combattu contre tous,
pour le pays où ils étaient nés. En réponse, le Président GRANT gracia Barncho
et Slolux, des jeunes hommes qui n’avaient joué qu’un rôle mineur dans les
tueries. A 10H00 du matin le 3 Octobre 1873, après avoir, comme par humour
noir, offert au prêtre qui était en charge vingt cinq chevaux et ses deux
femmes s’il acceptait de prendre sa place, Jack et ses trois camarades furent
exécutés. L’armée, en son honneur, refusa d’honorer les mandats d’arrêt de
l’Oregon pour un certain nombre de guerriers survivants. Le 12 Octobre 1873,
153 Modoc entraient sur le Territoire Indien, arrivant finalement à la Quapaw
Agency où on leur donna pour une valeur de 524,40 $ en bois de construction de
façon à ce qu’ils pussent s’en faire des abris pour l’hiver. Au printemps, les
réfugiés se déplacèrent vers une réserve de 4000 acres. Tragiquement,
l’adaptabilité des Modoc à leur habitat ne s’étendit pas à leur santé. En 1879,
il ne restait que 103 de ceux qui avaient été déportés d’origine. Leur santé
était minée à la fois par la maladie et par les vols de leur agent, qui
surpayait ses proches en rations et distribuait la plus grande partie de la
nourriture quelque part d’autre pour son propre profit. S’il fallait dresser
une liste des meilleurs guerriers Américains de toutes les races, les Modoc y
auraient la première place, ou n’en seraient pas loin. Oubliés depuis longtemps
par la plupart des gens, Captain Jack, Scarface Charley et leurs guerriers,
combinèrent l’habileté des Seminole à utiliser le terrain, l’adresse tactique
des Nez-Perce, et l’art de la guérilla des Apache. Les Modoc furent
probablement de meilleurs tireurs que tous les autres. Jamais, avant cela ni
depuis, si peu d’hommes n’ont fait, contre tant d’autres, tellement de choses
avec si peu. Voilà, et tout çà à cause de ce petit con de Lieutenant
BOUTELLE qui avait tiré le premier, presque un an et demi plus tôt.
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