Il n’y
a pas si longtemps encore, j’entendais quelqu’un dire que
les ressorts à boudin ne sont pas permis au contrôle des
armes dans les compétitions aux Armes Anciennes, « parce
que ce type de ressort n’était pas connu à l’époque
où l’on tirait avec des armes à poudre noire. »
J’ai même entendu dire la même chose par des arbitres
à l’époque où je portais encore le blouson
rouge. Quelque chose est totalement faux là-dedans, il faut le
rappeler ou le préciser. Il est vrai néanmoins que les
ressorts à boudin actionnant le chien sont un système
moderne lorsqu’ils sont de la même conception que celle
des revolvers modernes et ils ne peuvent passer. Certaines armes ARDESA
sont refusées au contrôle des armes parce qu’elles
ont un petit ressort à boudin dans la platine qui règle
la garde du bec de gâchette sur le cran de départ. D’accord,
une platine qui ne comportait pas de ressort à boudin à
l’époque où elle avait été conçue
doit rester telle quelle si elle veut mériter l’appellation
de réplique, et tout artifice altérant le caractère
de réplique doit prendre le chemin du refus chez un Arquebusier
vraiment digne de ce nom. Comme tirer le Maximilien avec un tunnel de
guidon à insert circulaire et un niveau à bulle ; mais,
enfin, ce fut un jeune et il était du club qui recevait, alors...
Et de toutes façons, espérer avoir des résultats
phénoménaux avec du AREDESA est un symptôme signifiant
que le propriétaire candidat doit avoir été atteint
de paludisme. Citons aussi le RÜGER Old Army, qui a beau être
une merveille de solidité et de bonne facture, tout en tirant
juste, mais qui n’est pas du tout une réplique car il reprend
les formes d’une arme tirant déjà des cartouches
métalliques et, outre son maître ressort à boudin
trop moderne par rapport à celui du COLT « 73 » à
qui il est censé ressembler, il n’a rien à faire
en Armes Anciennes à cause de ses organes de visée réglables
et de l’absence d’arme originelle.
Les gens
du dix-huitième siècle, ou même d’avant, n’étaient
pas plus idiots que ceux du vingtième. En y réfléchissant
bien, je me demande d’ailleurs parfois si la dose de bêtise
humaine n’a pas augmenté avec les siècles, pour
atteindre son paroxysme aujourd’hui avec l’évolution
de ce qu’on appelle le progrès et son corollaire la détérioration
grave de la planète, contre laquelle absolument aucun de nos
gros industriels ne semble envisager de faire quoi que ce soit. Sauf
que l’humanité en meurt tous les jours. Mais c’est
une autre histoire. J’ai dit vingtième siècle car
c’est au milieu du vingtième siècle, quand la paix
et l’aisance furent revenues après la deuxième Guerre
Mondiale, que les gens ont commencé à se mettre à
tirer sérieusement en concours avec des armes à poudre
noire. Et je suis parti du dix-huitième siècle parce que
c’est dans cette période-là que j’ai trouvée
la trace la plus ancienne d’un ressort à boudin dans une
arme à feu.
Commençons
plus tard que cela. Citons d’abord un certain Jean-Samuel PAULY,
armurier né en Suisse qui a laissé son nom à une
discipline chez les Arquebusiers de France, et plus connu généralement
pour avoir inventé en 1812 une arme à chargement par la
culasse avec ce qui fut la première cartouche métallique
proprement dite. On n’est pas des sauvages tout de même,
en Europe, hein. Ce brave homme avait aussi inventé en 1814,
entre autres armes à feu et systèmes, un fusil où
l’inflammation de la charge au départ du coup était
provoquée par un échauffement dû à la compression
rapide d’un volume d’air qui se heurte à une résistance.
L’air était comprimé dans un cylindre par un ressort
à boudin. C’est le même principe que la pompe à
vélo en aluminium que l’on compresse d’une main en
bouchant la sortie avec la paume de l’autre main. Ca fait du bruit
comme quelqu’un qui pète sec, mais ça chauffe !
Plus de gêne avec une mèche qui s’éteint à
cause de la pluie ou un silex qui est usé, mais l’amorce
à percussion au fulminate de mercure qui naissait à la
même époque eut plus de succès et son invention
passa au tiroir des oubliettes. Mais le ressort à boudin existait
donc déjà à cette époque. Et notons aussi
que, du même coup, PAULY avait inventé sans le savoir le
principe d’allumage du moteur diesel… Les amateurs d’armes
connaissent aussi le fameux « Fusil à vent », mais
celui-là ne tirait pas de poudre et ce système n’est
pas exclusif à PAULY.
Une autre
trace de ressort à boudin se trouve dans une Tour de Londres.
Dans cette tour, il y avait un prisonnier. L’histoire ne dit pas
si le prisonnier avait des morpions toute la nuit, mais il réside
au musée des armes dans cette tour. Dans ce musée, on
peut admirer des exemplaires rares, voire uniques. L’un d’eux
est un fusil à un canon lisse en calibre .57, de bonne facture
bien que passablement usé, au bois et au canon finement gravés
et aux ferrures en laiton, fabriqué pour quelqu’un devant
« avoir les moyens » et qui possède une platine à
silex fonctionnant en ligne. Eh oui, en ligne. La platine est intérieure,
comme sur les platines dites « à coffre », elle est
alignée avec le canon et elle en a le même diamètre.
Dans le pontet se trouvent deux leviers qui ressemblent à une
double détente. Le plus en arrière est la détente
proprement dite, et l’autre n’est qu’un levier d’armement.
Celui-ci est directement relié au droit d’une tige ronde
que l’on pourrait appeler une culasse, au bout de laquelle est
fixée une mâchoire portant un silex, légèrement
placé en oblique vers le haut et qui fait office de percuteur.
En tirant ce levier en arrière sur quelque chose comme trois
centimètres, on comprime un ressort à boudin qui entoure
la culasse. La culasse, le ressort et le reste du mécanisme se
trouvent à l’intérieur du boîtier. Sous la
culasse se trouvent deux encoches. Celle de derrière constitue
le cran de sécurité, et celle de devant est le cran du
départ. En tirant sur la queue de détente, comme on le
fait sur toutes les armes, celle-ci pivote sur un axe et un guignol
dégage le bec de gâchette du cran de départ, libérant
ainsi la culasse qui, mue par le ressort à boudin qui l’entoure,
bondit en avant et vient frapper une plaque de batterie. Celle-ci est
placée entre la culasse et la chambre. Lorsque l’arme est
prête à tirer, la plaque de batterie est à fleur
avec l’ensemble formé par le canon et le boîtier
dans lequel se trouve le mécanisme. Le tonnerre du canon est
quasiment bouché par une culasse vissée dessus. Celle-ci
est coupée en oblique, présentant lorsqu’on relève
la plaque de batterie un petit réceptacle formant le bassinet,
lequel communique avec la chambre dans le canon par une lumière.
Lorsque la plaque de batterie est frappée par le silex, elle
pivote brusquement vers le haut, et les minuscules particules de métal
en fusion mettent le feu au pulvérin dans le bassinet, avec une
communication à la charge par le biais de la lumière comme
sur une arme à silex classique. C’est géant tellement
c’est simple. Et ça fonctionne avec un ressort à
boudin, messieurs les arbitres ! Qu’on se le dise, le soir au
fond des bois et dans les chaumières. N’importe quel bricoleur
adroit pourrait fabriquer la même arme avec de la récupération.
Pourquoi l’industrie de l’époque a-t-elle choisi
la platine latérale avec tous ses ressorts en « V »
et ses multiples pièces compliquées à fabriquer
? Pour faciliter l’entretien, peut-être, et surtout le nettoyage
parce que, bonjour le démontage…L’arme est signée
par un Bohémien du nom de Stanislas PACZELT et elle est datée
en 1738. Rien que çà ; 1738 c’était juste
avant hier. Selon les gens du musée de la Tour de Londres «
Ce type de fabrication est associé à Stanislas PACZELT,
dont le nom apparaît sur la plupart des armes de ce type qui ont
pu être sauvegardées. Toutefois, il est très improbable
qu’il ait été l’inventeur du système,
car on connaît des armes de conception très similaire faites
par d’autres armuriers et datant de plus tôt. » Donc,
ce n’était pas vraiment rare à l’époque.
Une autre
de ces armes qui paraissent exotiques à nos yeux se trouve au
Musée National de Münich, le Bayerisches Nationalmuseum.
Il s’agit d’un fusil de chasse juxtaposé, également
à canons lisses et en calibre .57, au bois finement décoré
d’argent et de carapace de tortue et dont l’état
général est excellent, comme si cette arme avait à
peine tiré. Le fusil est daté de 1740, il est de facture
typiquement allemande de cette époque, mais il n’est pas
signé. Contrairement au fusil PACZELT, il s’arme à
l’aide d’un petit bouton coulissant vers l’arrière
de chaque côté du boîtier de culasse, mais comprimant
là aussi un ressort à boudin à chaque fois. Comme
le MAT 49. Le reste du système est le même que sur l’autre
fusil. Là encore, la mise à feu se fait par un silex fixé
sur une culasse qui bondit en ligne vers l’avant, sur une plaque
de batterie qui passe de la position à fleur à la verticale.
Il y a un silex, une plaque de batterie et une détente par canon.
On connaît
aussi des spécimens encore plus anciens, datés d’aussi
loin que 1730. Toutes ces armes étaient fragiles et devaient
sûrement « cracher » vers l’arrière,
dans la figure du tireur. Le droitier qui a déjà tiré
juste à côté d’un autre droitier, mais qui
tire le Cominazzo où il faut « charger pour que ça
rentre », sait de quoi je veux parler. Et celui qui a déjà
tiré le Charleville ou le Tanegashima s’est rendu compte
de lui-même qu’il faut vraiment avoir envie de tirer aux
Armes Anciennes pour jouer avec ces trucs qui vous laissent des petits
points noirs incrustés dans la peau du visage si on le met trop
près du bassinet. Cela s’appelle cracher au bassinet. Parfois,
ce sont des petites particules de silex, parfois des petits morceaux
de charbon, parfois un mélange des deux. D’où la
nécessité de porter une protection EFFICACE des yeux aux
Armes Anciennes, mais encore une fois, cette remarque est hors-sujet.
Le système « in-line » a été repris
par des chasseurs Américains à partir de 1950, et plus
communément à partir de 1990. Soit une stagnation dans
l’oubli de presque deux cents vingt ans…
Bernard ZEHNACKER